Il y a, dans chaque adulte qui traverse la vie professionnelle, un enfant silencieux.
Un enfant qui a appris trop tôt à se faire petit, à ne pas déranger, à encaisser.
Un enfant qui a compris que prendre de la place pouvait être dangereux :
que parler pouvait déclencher une tempête,
que briller pouvait attirer la jalousie,
que demander pouvait provoquer le rejet.
Cet enfant-là grandit. Il devient un professionnel compétent, parfois même brillant.
Mais lorsqu’il franchit les portes d’une entreprise, il porte avec lui l’ombre de ce passé : une présence discrète mais tenace, qui colore ses gestes, étouffe sa voix et rétrécit son espace intérieur.
Quand l’histoire se rejoue :
la peur de déranger
Dans de nombreuses situations professionnelles — une réunion, une prise de parole, un entretien — l’adulte se heurte à une sensation familière et pourtant déroutante :
celle de ne pas être légitime, de risquer de prendre trop de place, d’exister “trop fort”.
Ce n’est ni rationnel.
Ni volontaire.
C’est de la mémoire.
Les violences subies dans l’enfance apprennent à se fondre dans le décor pour survivre.
On devient spécialiste de la discrétion, virtuose du “ça ira, vraiment”, champion de l’effacement.
Et au travail, cela donne :
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« Je préfère ne pas poser la question. »
-
« Je ne mérite peut-être pas cette promotion. »
-
« Je ne suis pas sûr·e d’avoir vraiment fait du bon travail. »
-
« Je vais éviter le conflit, ce sera plus simple. »
Ce n’est pas un manque d’ambition.
C’est un réflexe ancien, devenu peau.
Le syndrome de l’imposteur : l’enfant qu’on n’a pas autorisé à exister
Derrière le syndrome de l’imposteur, il n’y a pas un déficit de compétences.
Il y a un enfant qu’on n’a jamais encouragé à être fier.
Un enfant dont les réussites n’ont pas été célébrées, dont la valeur n’a pas été reflétée.
Alors, à l’âge adulte, chaque réussite peut sembler usurpée :
comme un costume trop grand, un rôle emprunté.
On se dit :
« Si je réussis, c’est par chance. »
« Si on me fait confiance, ils finiront par voir que je ne suis pas légitime. »
Pourtant, le monde professionnel ne demande pas seulement des compétences.
Il demande une présence.
Un positionnement.
Un espace assumé.
Et pour certains, cela implique de réapprendre à se donner la permission d’exister.
Prendre sa place, ce n’est pas occuper l’espace des autres.
C’est simplement arrêter de s’effacer et choisir, enfin, d’exister pleinement.
L’hypervigilance: quand le corps reste en alerte
Les violences vécues dans l’enfance enseignent que le danger peut surgir à tout moment.
Alors même dans un bureau, face à un collègue aimable, à trente, quarante ou cinquante ans,
le corps reste prêt.
On scrute tout.
Un silence.
Un mail sans ponctuation chaleureuse.
Une porte qui claque.
Un ton un peu sec.
Un souffle un peu court.
On ne prend pas de place, car on a appris qu’anticiper le danger avait plus de valeur que s’avancer.
Cette hypervigilance épuise.
Elle prive l’adulte de spontanéité, d’élan, d’expression authentique.
Ce n’est pas un défaut.
C’est un corps qui n’a jamais pu se déposer.
Apprendre à se reposer, même une minute, est déjà un acte de réparation.
L’hypervigilance n’est pas un défaut :
c’est un corps qui n’a jamais pu se reposer.
Apprendre à se déposer, c’est déjà commencer à guérir.
Reprendre sa place : un acte intime, courageux, révolutionnaire
Prendre sa place n’a rien à voir avec l’ego.
C’est un acte de guérison.
Une manière de dire à l’enfant intérieur :
« Tu peux te détendre maintenant. Je suis là. Tu n’es plus seul. »
Et cela ne commence pas par de grands gestes, mais par des micro-mouvements :
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répondre en son nom, sans s’excuser,
-
dire « je pense », « je souhaite », « je propose »,
-
accepter un compliment,
-
poser une limite sans trembler,
-
demander de l’aide sans se sentir faible,
-
se tenir droit, ancré, plutôt que de se faire oublier.
Peu à peu, l’espace intérieur s’élargit.
L’ombre recule.
La voix trouve son grain.
Le corps retrouve sa place.
Et l’adulte découvre qu’il peut enfin habiter sa vie professionnelle autrement :
sans rétrécir, sans simuler, sans camoufler.
Ce que vous devez retenir …
Pour celles et ceux qui ont grandi dans la peur, prendre sa place n’a rien d’inné.
C’est un chemin.
Un apprentissage.
Une reconstruction patiente.
Mais c’est aussi une libération profonde :
celle de devenir l’adulte que l’on aurait aimé rencontrer plus tôt.
Un adulte qui ne se cache plus.
Qui respire pleinement.
Qui ose sa voix, son rythme, sa manière d’être.
Un adulte qui, enfin, se donne la permission d’exister.

